Naufrage du René (Suite et fin)

Le Naufrage Relaté Dans le journal le petit parisien

Le petit parisien du 21 octobre 1901

Le Naufrage du « René »
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(De notre correspondant particulier)

Brest, 20 octobre.

Voici des détails complets sur le naufrage du terre-neuvier René que je vous annonçais hier brièvement.

Le matelot Lanoë, un des survivants, nous a fait de ce sinistre le récit suivant :

Le René, jaugeant 70 tonneaux, armateur M. Desgrand*, de Saint-Malo, était parti de ce port le 17 mars, chargé de sel pour la pêche de la morue ; il arriva sur les lieux le 1er avril. La campagne se passa bien, et le navire partit pour la France le 3 octobre. Grâce au beau temps, la traversée fut parfaite.

Vendredi soir, vers cinq heures, on aperçut les feux de Penmarch, qui furent pris pour ceux d'Ouessant. Le temps était alors convenable, mais deux jours auparavant le René était en cape à cause de la brume et du vent.


Au moment où l'on vit les feux, le capitaine se trouvait sur le pont. Soudain le cri sinistre: « Terre devant ! » retentit. On voulut virer de bord, mais le navire, ne gouvernant plus, toucha sur les roches ; la mer, faisant barre dessus, le creva.

Le capitaine Gicquel cria alors « Sauve-qui-peut ». On lança les embarcations à la mer, mais les deux canots de tribord, furent écrasés par un paquet d'eau.

Dans le premier se trouvaient Herbin, patron de pêche, et Bunel, qui furent noyés. Dans le second avaient pris place Le Roux, Porcon et Lemasson, qui, seul, put se sauver à la nage.

Dans un troisième canot se trouvaient Joseph Guillaume, Hamouet, Lanoë et Guéneron. Le premier fut enlevé par un coup de mer ; les trois autres furent désarmés de leurs avirons par les lames. L'embarcation dériva au plein et ils abordèrent sur la côte, se dirigeant vers Plomeur où ils arrivèrent à minuit,

Les malheureux furent recueillis par M. André, boulanger, qui les réchauffa et leur donna une large hospitalité. Ce brave homme les envoya ensuite au maire qui les fit conduire au syndic de Pont-Labbé.

Berre, Masson, Marie, Gœmbert, Danner, Vacher, Clérambault se sont sauvés à la nage ; ils prirent pied à la côte de Tréguennec où ils furent reçus dans une ferme. Ces braves gens retournèrent plus tard à bord pour essayer de sauver quelques effets ; ils réussirent en partie puis furent envoyés à leur tour au syndic.

Hégot, qui avait les côtes fracturées ; Leroy, blessé à la tête, et Thébaut restèrent à bord, où ils ont passé la nuit dans la mâture. Ils furent sauvés hier matin, à neuf heures, par les douaniers. Thébaut avait déclaré qu'il préférait mourir à bord que se sauver à la nage, la mer étant trop mauvaise. Leroy et Hégot ont reçu l'hospitalité chez le maire de Tréguennec.

L'infortuné capitaine, Isidore Gicquel, tomba à la mer, en croyant mettre le pied dans une des embarcations, et se noya ainsi.

Ce matin, on a retrouvé cinq cadavres, que Leroy, resté à Tréguennec, a dû aller reconnaître. De ce nombre est le malheureux Pourcon, qui a été identifié grâce à l'ancre maritime qu'il avait tatouée sur la main.

Tous les survivants ne paraissaient pas trop fatigués ni accablés par cette rude épreuve. Cependant la plupart ont reçu des contusions dont quelques-unes très apparentes à la tète et à la figure. Les pauvres gars doivent être rapatriés demain soir.

Le René était chargé de 22.000 morues. On croit que la cargaison pourra être sauvée.


* Note KBCP :  L'armateur n'est pas M. Desgrand mais l'armement Léoni Coste & Cie. M. Daygrand (en non Desgrand) est membre de la famille Coste-Daygrand et du " & Cie " de l'armement.



Le naufrage relaté dans le journal Ouest-Éclair

Ouest-Éclair du 22 octobre 1901

Naufrage du René
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Onze noyés

Brest, 19 octobre.


Le navire René, de Saint-Malo, s'est perdu cette nuit sur les récifs de Plabennec, près de Penmarc'h. Le capitaine et dix hommes se sont noyés.

Les neufs survivants ont pu gagner Penmarc'h et ont été dirigés sur Quimper.

Les détails manquent.


La goélette René, de Mme* Léonie Coste de St.-Pierre-Miquelon et St.-Malo, rentrait des Bancs avec sa pêche et 20 hommes. Le navire était commandé par le capitaine Gicquel qui est parmi les morts.


* Notes KBCP : Armement Léoni Coste & Cie (Léoni - sans "e" - est un homme marié à Aglaé, veuve Daygrand).

On pourra noter une certaine discordance entre les noms des protagonistes, voire des dates, selon qu'ils sont cités par Le Petit Parisien ou le Ouest Éclair.

Plus anecdotique, on remarquera que les infos du naufrage remontent bien plus vite à Paris qu'à Rennes.


Le port Français de St Pierre, au sud de Terre-Neuve

Ouest-Éclair du 23 octobre 1901 

La perte du « René »
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Retour des Bancs — Un feu pour
L'autre — Dans la mâture.
Huit victimes
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Quimper, 20 octobre.


Comme vous l'avez annoncé hier en dernière heure, un nouveau sinistre vient de porter le deuil dans dix familles de notre côte.

Dans la nuit de samedi, le brick-goélette, capitaine Gicquel, qui revenait des bancs de Terre Neuve avec la pêche, s'est perdu sur les rochers de Tréguennec, en face de Plovan.

Voici, d'après les survivants ce qui se serait passé :

Le brick goélette, qui avait débanqué le 5 octobre, avec 20 hommes, avait eu une traversée très dure, quand vendredi et, par gros temps, on aperçut les feux de la côte bretonne.

Le temps était brumeux avec des éclaircies coupées de grains qui empêchaient toute espèce de vue par moments.

Le navire approchant, le capitaine Gicquel aperçut un feu très au large à tribord. C'est Ouessant, pensa-t-il et se croyant en Manche, il continua à courir au Nord-Est.

Tout à coup — il était exactement 9 h 1/2 — un choc épouvantable se produisit. Le navire, poussé par la bourrasque, venait de se fracasser sur les récif de la Torche. Ce que le capitaine Gicquel avait pris pour Ouessant était le feu de Penmarc'h, si bien que le René, au lieu d'entrer en Manche avait donné vent arrière en plein dans la baie d'Audierne !

A peine la navire avait il donné sur les récifs que le brick éventré commençait à sombrer, puis la voie d'eau s'élargissant tout à coup, le René coula à pic.

Le choc avait réveillé ceux des pêcheurs qui dormaient dans le poste et dès que chacun eu conscience de ce qui venait de se passer, on se rua vers l'étroite ouverture, chacun, hélas empêchant l'autre de passer. Il y eut là une scène horrible à laquelle la mer mit fin en envahissant le poste à jamais, tandis que les marins restés sur le pont et ceux qui avaient réussit à sortir du poste grimpaient dans la mature.

Heureusement, les douaniers de service sur la côte s'étaient doutés du sinistre en voyant le navire, à ses feux, s'avancer dans la nuit.

Et à peine le malheur s'était-il produit, qu'apercevant les naufragés survivants en grappes dans la mature, ils organisèrent un va et vient, grâce auquel dix des marins et pécheurs gagnèrent la terre.

C'étaient Léon Lanoë, Louis Hamonel, Charles Guermenon, Jean Barry, second, Marie- Ange Gaubert, Joseph Mary, Téléphor Lemasson, Jean Dosnier, Henri Levoger ou Levacher et Jean Clérambault. A ce moment, les trois canots de sauvetage des postes avoisinants, mis à la mer à la nouvelle du naufrage, survenaient sur les lieux. Ils recueillirent les trois derniers malheureux, Edouard Leroy, Thomas Thibaud et Émile Égault.

Les naufragés ont été dirigés sur Quimper après avoir reçu des soins au syndicat de Penmarc'h.

Je compléterai demain ces renseignements pris en hâte.

Des bateaux de pêche explorent la mer à la recherche des corps.
Le René parait complètement brisé.


Le René, hélas, n'est lui pas rentré à St Malô


Ouest Éclair du 24 octobre 1901

Le naufrage du « René » 

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Les noms rectifiés — Tous du pays
dinannais et malouin —
Comment les malheureux sont morts


Quimper, 21 octobre.


     Tout d'abord, voici les noms rectifiés des huit marins morts et les noms des survivants. Je les groupe par commune, tous appartenant à la région malouine et dinannaise.

Les morts


     Ont péri dans le naufrage :

     Plouër. — M. Isidore Gicquel, capitaine, marié, sans enfant. Cest quelques minutes après le naufrage, en mettant le pied dans une embarcation qu'on avait réussi à mettre à la mer, que M. Gicquel est tombé à l'eau par suite d'un faux-pas. Le malheureux capitaine a aussitôt coulé à pic.

     Saint Pierre-de-Plesguen. — Louis Herbin, patron de pêche, 28 ans, célibataire ; Henri Le Roux, matelot, 28 ans, célibataire ; Émile Busnel, matelot, 23 ans, célibataire ; Joseph Guillaume, matelot, 26 ans, célibataire.

     Miniac Morvan. — Pierre Porçon, maître d'équipage, 40 ans, marié, père de 3 enfants.

     Pleugueneuc. — Jean-Marie Boixière, matelot, 26 ans, célibataire.

     Fressé. — Louis Corbinais, novice, 18 ans.

     Voici comment tous ces infortunés sont morts. Louis Herbin et Emile Busnel avaient sauté dans une embarcation, mais un coup de mer envoya le doris s'écraser contre le René et les deux malheureux coulèrent avec le doris. Leroux et Porçon étaient descendus dans une seconde embarcation qui eut le même sort. Guillaume a été enlevé d'une troisième embarcation par un paquet de mer. Boixière et Corbinais auraient été noyés dans la chambre. Tout ceci sous réserve, car dans l'affolement du sinistre, chacun ne pense qu'à se sauver avec les camarades et personne ne peut dire au juste ce qui s'est passé.



Les survivants


     Les marins qui ont échappé au désastre sont :

     Saint-Hélen. — Yves Le Berre, second, 29 ans ; Henri Le Vacher, matelot, 31 ans; Jean Doumer, matelot, 20 ans.

     Evran. — Léon Lancé, matelot, 27 ans.

     Saint Pierre-de-Plesguen. — Jean Clérambault, mousse, 15 ans ; Charles Guéneron, matelot, 26 ans ; Louis Hamonet, matelot, 19 ans ; Émile Egault, matelot, 18 ans, et Édouard Le Roy, matelot, 24 ans.

     Pleuguéneuc. — Théophile Le Masson, matelot, 26 ans.

     Tressé. — Joseph Mary, matelot, 31 ans.

     Plesder. — Marie-Ange Gombert, matelot, 19 ans.

     La Baussaine. — Thomas Thébault, matelot, 31 ans.

     Voici maintenant comment ces braves marins ont échappé à la mort.

Théophile Lemasson, de Pleuguéneuc, se trouvait dans l'embarcation qui a chaviré avec les malheureux Porçon et Le Roux. Emporté par un coup de mer qui l'a rapproché de la plage, il a pu gagner la côte la nage.

Louis Hamonet, Charles Guéneron et Léon Lancé se trouvaient dans l'embarcation dans laquelle était Guillaume, qui fut enlevé par un coup de mer. Le paquet d'eau ayant du même coup enlevé les avirons que ce pauvre marin se disposait à mettre en œuvre, le canot partit en dérive.

Fort heureusement on était tout près de la côte et le flot ayant poussé l'embarcation vers la plage, les trois marins se jetèrent à la nage et gagnèrent le terre sains et saufs.

Sitôt à terre, les trois naufragés se rendirent au bourg de Plomeur où ils furent reçus et hébergés par M. André, boulanger, qui les conduisit chez le maire.

Yves Berre, Joseph Mary, Marie-Ange Gombert, Jean Doumer, Henri Le Vacher et le mousse Clérambault se sont sauvés dans une embarcation qui a atterri près de Penmarc'h vers quatre heures du matin.

Quant à Thomas Thébault et Édouard Le Roy, ils ont été sauvés, comme nous l'avons dit, par un va et vient organisé par les douaniers de Plovan. Quand le sauvetage a eu lieu, les malheureux étaient depuis des heures accrochés à la mâture, mouillés, transis, après des souffrances d'autant plus terribles qu'Égault et Le Roy avaient été blessés dam le naufrage. Égault, en effet, a eu quatre côtes cassées et Le Roy a eu des blessures sérieuses à la tête.

Égault, qui souffre beaucoup, est rresté chez M. le maire de Triguennec, où il reçoit les meilleurs roins. Le Roy, qui a reçu la meilleure hospitalité chez ce brave maire a pu rejoindre ses camarades partis pour Quimper. Ces derniers sont arrivés naturellement bien fatigués après les souffrances et les émotions ressenties, et ils parlent surtout de la mort de leurs camarades et amis, mort qui les affecte beaucoup.

Tous les survivants du naufrage se plaisent à reconnaître le bon accueil qui leur a été fait par les maires de Penmarch, Plomeur et Tréguennec, ainsi que par les habitants de ces communes.

Dès leur arrivée à Quimper, la gendarmerie maritime, qui attendait les sauvetés sur le quai de la gare, les a conduits à l'inscription maritime, puis de là au restaurant Le Rest-Le Dé, rue des Reguaires.

Aujourd'hui, ils seront interrogés par le commissaire de la marine, et ce soir ou mardi seront dirigés sur Saint-Malo. A l'heure où je vous écris, plusieurs cadavres ont été recueillis. Leur identité n'est pas encore connue exactement, mais d'après une marque qu'il portait à la main, on a tout lieu de croire que le pauvre maître d'équipage Porçon est parmi les recueillis.

Comme on le prévoyait hier, la navire est complètement perdu, maisle chargement pourra être sauvé. Quelques matelots, dans la journée, se sont rendus avec une barque sur les lieux du sinistre pour chercher leurs vêtements ; ils ont réussi à en recueillir seulement une partie.

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Ouest-Éclair du 25 octobre 1901

Terre-Neuve et Islande
LE NAUFRAGE DU « RENÉ »

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Quimper, 22 octobre.


Les survivants du René, ont été dirigés cet après midi sur Saint-Malo. Émile Egault et Henri Le Roy, de Saint Pierre-de-Plesguen, dont les blessures sont moins sérieuses qu'on ne pensait, ont pu partir avec leurs camarades.

Il n'y a eu jusqu'ici que deux cadavres recueillis, ceux du maître d'équipage Porçon et du matelot Le Roux.

Le beau frère de M. Gicquel, venu à Quimper avec l'espoir de ramener à Plouër, son pays, le corps du malheureux capitaine, est reparti sans avoir pu le retrouver.  


Ouest-Éclair du 26 octobre 1901 (dernier article concernant le naufrage du René)

Le naufrage du « René »

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Quimper, 23 octobre.

Nous avons dit que deux cadavres seulement avaient été trouvés, sur les huit malheureux noyés du naufrage. Les deux corps ont été trouvés sur la côte de Saint-Jean-Trolimon, à peu près à la hauteur de l'endroit où s'est échoué le brick.

Henri Leroy et Émile Égault, de Saint-Pierre de Plesguen, restés, comme nom l'avons dit, à Tréguennec quelques heures après les autres survivants, ont reconnus les naufragés pour être le nommé Henri Leroux, marin, demeurant à Saint Pierre-de-Plesguen (Île et Vilaine). Il portait au cou une petite médaille de l'Immaculée Conception une croix et un cœur en argent. Il était vêtu d'une chemise de colon à raies rouges et blanches, marqué H. L. Le cou était entouré d'un mouchoir marqué des mêmes lettres.

Le 2° cadavre est celui de M. Pierre Porçon, lieutenant en second, demeurant à Miniac ; il a été reconnu à ses vêtements et à une ancre tatouée sur la main gauche.