LE CONFLIT DE PENMARC'H - JUILLET 1927 (suite 1)

PENMARC'H

Avant d'entrer dans le détail du conflit, quelques mots sur Penmarch.
A l'extrême pointe ouest de la Bretagne, une côte effroyable, sauvage, hérissée d'écueils, où la mer brise toujours même par temps calme, aux passages difficiles et insuffisamment balisés, marqués tous les ans par des naufrages, car "ici le drame est partout", un phare puissant : c'est Penmarch.

Penmarch a trois petits ports à marée, mal protégés des vents du large, d'accès parfois difficile : Saint-Guénolé, le plus important, Kérity et Saint-Pierre. Par gros vent, impossible d'entrer ou de sortir, gare au bateau qui est resté au large ! Aussi les marins sont condamnés l'hiver à de longues semaines, parfois des mois de chômage.

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La barre de Saint Guénolé


120 bateaux sardiniers, 1.300 pêcheurs environ qui durant toute l'année - quand le temps le permet - se livrent à différentes pêches : crustacés, maquereaux, sardines.
Saint-Guénolé a huit usines, Kérity en a deux et nous retrouvons ici les noms déjà cités lors de l'étude sur la grève de Douarnenez : les Béziers, Amieux, Cassegrain, Saupiquet, Roussel, etc. Un seul usinier n'est pas affilié au Syndicat de la Conserve.


Pour terminer, citons le tableau fait par M. Le Bail à la Chambre des députés :
"A l'extrême pointe de la péninsule de Penmarch, le drame est partout. Il y a trois ans, la nuit, un raz-de-marée a soudain culbuté et brisé les embarcations et envahi les demeures des pêcheurs. L'année suivante des événements singuliers se sont produits. Par un ciel étrange, la mer se gonfle soudainement et met en péril des vies humaines. Les deux bateaux de sauvetage de Kérity-.Penmarch et de Saint-Guénolé se précipitent au secours des marins en danger. Devant ces embarcations se dresse une muraille liquide impossible à surmonter. Les embarcations de sauvetage sont renversées et vidées de leurs hommes. Vingt-sept deuils.
Le drame, ici, est partout. Il est d'abord dans la nature où se livre la perpétuelle bataille entre ces trois éléments : l'eau, le vent, la terre. Il est aussi dans la vie misérable, dans la condition de ces hommes qui, au milieu des conflits incessants du capital et du travail sont dans l'impossibilité d'assurer la conquête du pain quotidien.
C'est une étrange destinée que celle des pêcheurs sardiniers. Qu'il y ait disette ou abondance, ils souffrent. "


Georges Le Bail
Député du Finistère

COMMENT DEBUTA LE CONFLIT.

Le conflit est parti du Comptoir d'achat. Ce comptoir qui achète au même prix pour toutes, les usines affiliées est une émanation directe du syndicat national de la conserve. L'organisation centrale est à Nantes. Chaque usinier, lui, est lié par contrat et doit payer un dédit au cas où il jugerait à propos de le quitter.
Est-il légal ? Pour moi la question est de peu d'importance, aux juristes de la trancher. Ce que je sais, c'est que si l'organisation est nouvelle, la suppression de toute concurrence sur le marché ne l'est pas. Presque tous les ans les acheteuses des différentes usines s'entendent parfaitement à certains moments pour acheter le poisson l'une après l'autre en mettant toutes un prix uniforme.
Cette question du Comptoir d'achat est d'ailleurs passée presque tout de suite au second plan et dans les entrevues entre les usiniers et les pêcheurs il a surtout été discuté des prix qui presque seuls importent.
Le Comptoir d'achat s'est installé à Saint Guénolé au début de l'année au commencement de la campagne de la langoustine. Les marins se sont rendus tout de suite compte que cette innovation n'était pas faite pour augmenter leur bien-être : C'était pour eux la carte forcée, vendre leur poisson au Comptoir ou le jeter à la mer. La pêche de la langoustine a peu donné : prise moyenne par bateau, de 80 à 100 kilogrammes ; prix, 1 fr. 80 en moyenne le kilo. En comptant deux ou trois sorties possibles par semaine, la part de chaque homme (7 à 8 par bateau) n'était pas grosse, compte-tenu des sorties nulles, assez nombreuses, des filets crevés, du travail pénible à cette saison. Aussi le gain moyen depuis le 1er janvier ne dépasse pas 4 à 500 francs.
On comprend facilement, le mécontentement général devant ces gains de famine.


Cout de la Vie en 1927


Le mouvement couvait donc depuis plusieurs mois. Vint la campagne du maquereau. C'est le prix peu élevé de ce poisson qui a fait éclater le conflit.


LE CONFLIT.

Le 27 mai, un bateau arrive avec une cargaison de maquereaux. Le Comptoir lui en offre un prix dérisoire. Ça a été le premier point de départ du conflit. (Notons qu'un maquereau acheté 25 ou 30 centimes à Saint-Guénolé était vendu 1 franc à Pont-L'Abbé, 1 fr. 25 ou 1 fr. 50 à Quimper.) Réunion des pêcheurs quelques jours après. Ils décident tous de déposer les rôles à partir du samedi 4 juin.

Le syndicat, précédemment inexistant, fut le même jour mis sur pied. Le préfet vint lui-même à Saint-Guénolé, entendit les délégués qui exposèrent leur réclamation : libre commerce du poisson et suppression du comptoir d'achat.

Le 8 juin, réunion des pêcheurs et des patrons d'usine à la préfecture. Une seule question est en jeu : suppression ou maintien du Comptoir.
Les délégués, m'écrit un camarade, étaient partis à Quimper pleins d'espoir et confiants dans l'appui du préfet. Ils lui rappelaient, ajoute-t-il, ce que disaient les Français avant la Révolution : "Ah ! Si notre bon roi savait ça !"

De cette entrevue rien ne sortit. Les usiniers demeurèrent fermes dans leur intention de maintenir le Comptoir et engagèrent les pêcheurs pour avoir de leur poisson une rétribution suffisante, d'en pêcher plus, d'employer deux annexes au lieu d'une. Ils déclarèrent en outre ce jour-là, ne pas pouvoir dépasser pour la sardine 300 francs les 100 kilogrammes.


Les délégués refusèrent d'accepter le maintien du Comptoir et bien que, non mandatés montrèrent, chiffres en mains, qu'étant donné le prix des filets, de la rogue, de l'essence, avec des pêches moyennes, en supposant qu'ils puissent sortir six jours par semaine durant toute la campagne, le salaire des pêcheurs aurait été insignifiant. Jos Le Pape, un militant pêcheur plein d'ardeur et possédant à merveille son sujet, sortit ses chiffres et demanda aux usiniers de laisser aux marins le moyen de nourrir leurs familles du fruit de leur pêche. Rien n'y fit.

Le lendemain, rendant compte de l'entrevue, les délégués montrèrent aux pêcheurs isolés, l'impossibilité où ils étaient d'arriver à un résultat par leurs propres moyens et l'on décida de faire appel au Syndicat régional unitaire, le seul qui existe dans le Sud Finistère. Tillon, qui s'est beaucoup dépensé depuis le début du conflit, vint, et le 10 juin il est décidé d'envoyer une délégation à Paris (1). M. Tardieu reçoit la délégation, sans Tillon. Aucun résultat. Les usiniers ne consentent que 100 francs d'augmentation (400 fr. au lieu de 300 fr.). Les pêcheurs acceptent une diminution de 25 % sur les prix de l'an dernier et demandent 800 francs pour les 100 kilos de sardines.

Le ministre insiste alors auprès de la délégation ouvrière pour qu'elle reste à Paris jusqu'au mardi 14, espérant – qui sait – lasser peut-être la patience des pêcheurs qui attendent et leur faire reprendre la mer ; pendant ce temps là, on envoyait 150 gendarmes à Penmarc'h. Pourquoi faire ? Tout était demeuré parfaitement calme.
La délégation non mandatée pour accepter un prix inférieur à 800 francs rentre et le dimanche 12 juin, Jos Le Pape et Tillon viennent à Penmarch pour rendre compte par le menu de leurs différentes démarches à Paris : entrevue chez le ministre, réception à la Commission de la marine marchande, aux divers groupes, etc.

Les pêcheurs en grève décident alors d'aller dans tous les ports de la côte exposer la situation qui leur est faite, qui sera faite demain ailleurs, faire appel à la solidarité effective de tous les pêcheurs et leur demander d'envoyer des délégués à la conférence qui doit se tenir à Quimper et dans laquelle on examinera la situation et au besoin on prendra des décisions d'action.


Les dragons à St Pierre (Photo-montage)


POURQUOI LES USINIERS ONT-ILS COMMENCE PAR SAINT-GUENOLE ?

On peut se poser cette question, car il est bien certain que le port où les fabricants de conserves devaient essayer la nouvelle organisation, Comptoir d'achat avec en plus les bas prix, n'a pas été choisi au hasard. Sans doute, ils avaient des raisons de s'arrêter à Saint-Guénolé et pas à Concarneau ou Douarnenez par exemple. Tâchons de les dégager.

D'abord Saint-Guénolé, Kérity, Saint-Pierre sont trois petits ports où la résistance devait être moins grande. La population paisible semble plutôt résignée et n'a guère été secouée par les batailles sociales qui, dans le passé, ont agité les grands ports de pêche de la côte. Et puis l'hiver a été mauvais, le gain à peu près nul et les réserves n'existent pas. Tous ces hommes, pensent les patrons, n'auront qu'une hâte : c'est de prendre la mer dés le beau temps car toute la nichée compte beaucoup sur la pêche de l'été.
Pas d'organisation syndicale à craindre comme dans les autres ports. Ici c'est l'indifférence absolue vis-à-vis du syndicat. Les marins paraissaient même réfractaires au syndicalisme avant eu l'habitude, pour régler leurs affaires, de faire toujours appel aux députés de la région.
Au moment des grèves de Douarnenez, alors que le contre-coup se faisait sentir sur toute la côte et que des syndicats de marins ou de sardinières se formaient un peu partout, à Saint-Guénolé les efforts de Jos Le Pape, qui tenta de grouper ses camarades, échouèrent.


Pose des filets


De plus - et nous le verrons toujours revenir dans ce conflit - il y a le filet tournant. Les pêcheurs de Penmarch -vu peut-être les conditions spéciales de leur port - sont partisans du filet tournant et sur ce point ne sont pas d'accord avec tous les autres marins de la côte bretonne qui toujours ont lutté contre cet engin. L'an dernier le filet tournant fut employé à Saint-Guénolé pendant trois semaines - un mois et cette année les pêcheurs, avant le conflit semblaient encore disposés à le reprendre.
Les usiniers n'ignoraient pas que dans le passé les marins de Saint-Guénolé-Penmarch ne furent pas toujours reçus dans les autres ports et ils pensaient que le filet tournant aurait empêché la solidarité d'être effective.

Sur ce point particulier et pour faire l'accord complet entre tous les pêcheur, de la côte, les délégués à la conférence de Quimper - ceux de Penmarch compris - firent bien de condamner une fois de plus l'emploi de cet engin.
Pour toutes ces raisons, les fabricants croyaient sans doute que les pêcheurs du coin choisi ne résisteraient pas, accepteraient assez facilement le Comptoir d'achat et les nouveaux prix et continueraient à faire usage, peut-être pour un temps plus long que les autres années, du filet tournant.

Mais les pêcheurs qui entendaient ne pas travailler uniquement pour les marchands de conserves se révoltèrent. Les rôles furent déposés et ce fut la grève.

QUELQUES CHIFFRES.

Et maintenant, voyons les chiffres qui ont été lancés dans la grève. Leur simple examen permettra de comprendre facilement la situation des pêcheurs. Les usiniers offraient d'abord 300 francs les 100 kilogrammes. Puis, après la première entrevue au ministère ils s'étaient engagés "pour un temps déterminé à payer 400 francs à Saint-Guénolé." Il faut savoir que 100 kilogrammes font 4.000 à 4.500 sardines (poisson moyen). Nous calculerons en prenant ce poisson comme base.

Pour justifier ces prix, ils affirment que "le prix de 300 francs représente cinq fois, celui de 400 francs six fois et demie les prix moyens des cinq années qui ont précédé la guerre". Laissons de côté 1914 qui ne fut pas une année normale. Les calculs des fabricants ne sont pas exacts, car on ne peut pas décemment compter les années de bonne pêche, comme celle de 1909 où les marins furent obligés de limiter leur pêche à 11 et 12.000 sardines suivant les ports et où le poisson fut vendu 5 et 10 francs le mille.

Raisonnablement, il faut au moins prendre comme moyenne le prix de 30 francs le mille, ce qui fait 120 francs les 100 kilos et à l'indice 6, qui est même au-dessous de la réalité pour ce qui est des matières de première nécessité dans les ports bretons, on arrive au prix actuel (le 720 francs. Les propositions des pêcheurs, 800 francs puis 700 francs étaient donc tout à fait légitimes.


Et puis nous ne devons pas oublier quelle était leur triste situation avant guerre. Les ménages de pêcheurs vivaient dans un état qui frisait la misère. Le régime - que j'ai bien connu - était celui de la sous-alimentation chronique. Qu'il y ait abondance ou disette de poisson la situation était sensiblement la même, car dès que la sardine se montrait un peu sur la côte les prix baissaient terriblement et bien souvent les pêcheurs ne trouvaient pas d'acquéreurs.


D'ailleurs les journaux bourgeois d'alors le reconnaissaient eux-mêmes et M. Le Bail l'a bien montré à la Chambre en citant les chiffres suivants :

Le "débescage" des sardinnes


Chiffres de la disette. En 1902, à Penmarch, d'après les calculs de M. Dupouy, directeur d'usine, le gain des marins pêcheurs a varié de 36 centimes par jour à 1 fr. 44. En 1.903, dans une monographie, l'honorable M. Lebras, juge de paix à Pont-Croix, calculait le gain d'une famille de marins pêcheurs sardiniers, composée de onze personnes, le mari, la femme et neuf enfants, alors que trois membres de la famille travaillaient ensemble sur le même bateau. Ce gain, était de 1.730 francs, ce qui donnait pour chacun, le chiffre de 157 francs. En 1905, les chiffres ont varié de 204 à 132 francs. Je trouve ces chiffres dans une enquête qui a été faite par M. Tissier, sénateur, qui a parcouru toute la côte bretonne pour renseigner le journal Le Matin. En 1907, les gains ont varié de 420 à 280 francs. Enfin, en 1912 - ce sont les chiffres officiels - à Douarnenez, le marin pêcheur a gagné de 250 à 400 francs; à Audierne, 100 francs; à Saint-Guénolé 40 francs; à Kérity-Penmarch, de 80 à 120 francs; à Guilvinec, 500 francs.

Voici maintenant les chiffres des années d'abondance. Après une disette qui a duré de 1902 à 1908 inclus, tout à coup, la sardine fait sa réapparition et l'année 1909 est fructueuse en poisson.
Voici l'extrait que je détache d'un journal, le Populaire de Nantes du 15 novembre 1909 :
"La pêche de la sardine a rapporté cette année à Lesconil..." - c'est un port de pêche voisin de Penmarch. -"...une moyenne de 250 à 300 francs par homme, ce qui est peu, relativement à la quantité de poisson pêché. »

Mes souvenirs personnels me permettent d'affirmer que le gain annuel d'un pêcheur était au plus alors de 6 ou 700 francs, et encore les années où il a été moins élevé ne furent pas rares. Et c'est à ce régime de famine que les usiniers voudraient faire revenir les travailleurs de la côte. Jamais les Marins bretons n'accepteront aujourd'hui de mener l'existence misérable et pénible de leurs pères. Eux aussi, quoi qu'en pensent les fabricants, ont droit à quelque peu de bien-être et à une vie plus saine que celle qu'un grand nombre d'entre eux ont vécu, il y a quelque vingt ans. Par la faim, on les aura peut-être, mais je suis persuadé que la révolte qui grondera en eux éclatera souvent et alors tant pis pour les affameurs.

On n'a pas, à mon avis, assez insisté sur ce point, qui a cependant de l'importance et les orateurs n'ont pas assez rappelé aux populations côtières cette situation lamentable d'avant guerre.

Autre chose. Les prix de 1914, c'est très joli ! Et les bateaux ? Une barque de pêche coûtait alors de 1.800 à 2.000 francs, elle coûte aujourd'hui de 20.000 à 25.000 francs, et si l'on ajoute le moteur qui se répand de plus en plus, cela fait au bas mot de 45.000 à 50.000 francs, prête à prendre la mer. De 2.000 à 25.000 francs, est-ce l'indice 5 dont se réclament les usiniers ?


Billet 1000FF type 1927

Il est facile de demander aux pêcheurs de bien vouloir réduire leurs salaires en vendant 100 francs le mille le poisson acheté l'an dernier 200 et 250 francs (autrement dit 300 fr. ou 400 fr. les 100 kilos. au lieu de 800 et 1.000 fr.). Mais le peuvent-ils ? Leurs frais généraux ont-ils donc diminué d'autant ! Voyons. La rogue (2) valait en 1926 : 550 francs en moyenne; cette année à l'ouverture de la pêche : 400 francs. Légère baisse, entendu, mais les marins sont payés pour savoir que dès que la pêche donnera quelque peu, les marchands de rogue se chargeront de faire monter les prix. 

Les tourteaux passent de 130 francs à 115 francs; les filets de 600 à 550 francs; les frais d'appât et de filets qui sont très élevés seront donc sensiblement les mêmes que l'an dernier et il est impossible aux pêcheurs de vendre leur poisson deux ou trois fois moins cher .que l'an dernier. Un petit calcul le montrera.

Il faut savoir que le patron pêcheur qui mène à bord de sa barque la même vie que les matelots, fournit tout le matériel et l'appât nécessaire à la pêche à la sardine. Pour couvrir ses frais, il prélève la moitié de la vente et le reste est partagé à parts égales entre lui et les hommes d'équipage. Selon les ports on fait six ou sept parts.
Dans une semaine, ce sont des chiffres minimums - le patron doit jeter à la mer environ deux barils de rogue à 400 francs l'un, six sacs de tourteaux à 115 francs - ajouter à cela les filets : achat et raccommodage, l'usure des voiles, l'essence pour certains, l'amortissement du bateau, etc., cela fait au bas mot pour six jours de pêche au moins 2.000 francs de frais. Pour les couvrir, sans rien gagner, sans avoir même l'intérêt du capital engagé, il doit donc pêcher pour 4.000 francs de poisson, c'est-à-dire à 100 francs le mille, 40.000 sardines par semaine, 6 à 7.000 par jour. Cette moyenne qui est celle d'une bonne pêche est rarement atteinte. Si nous tenons compte des jours où la pêche est nulle, quoique la dépense soit la même, des jours très nombreux où ce chiffre n'est pas atteint, des mois de septembre et octobre où la quantité de rogue et de tourteaux employés est plus grande car la mer est plus mauvaise, nous arrivons à cette conclusion qu'avec les prix offerts par les usiniers, si le matelot arrive à gagner quelques sous, le plus souvent le patron pêcheur non seulement ne gagnera rien, mais bien des fois il devra débourser. Ah ! il est facile au ministre des Travaux publics de dire "il faut que les pêcheurs rapportent 10.000 sardines par jour et par bateau. Le rapport sur ces bases sera de 985 francs pour le patron et 160 francs par homme et par semaine."
Les marins ne refuseraient pas de prendre 10.000 sardines par jour... si c'était possible. Mais hélas ! Le poisson se fait bien souvent prier.

Le ministre, d'ailleurs, ne semble pas être au courant de la vie des pêcheurs bretons. Ne demandait-il à Gautier à la Chambre : "Ces chiffres que vous citez (2.500 à 3.000 fr.) représentent-ils l'ensemble des gains réalisés, avec outre la pêche de la sardine, celle de la langoustine, du thon, etc.", paraissant croire, ce qui est absolument faux, que les pêcheurs de sardine peuvent se livrer aussi à la pêche du thon (sardine et thon se pêchent à la même saison).

Finissons ce chapitre déjà long par un passage de l'intervention de Masson lors de l'interpellation du 24 juin :
"Nous avons calculé quel serait exactement le salaire des pêcheurs, s'ils acceptent les conditions draconiennes et injustes, je dirai même iniques, que les usiniers veulent leur imposer.
Plaçons-nous dans l'hypothèse d'une pêche quotidienne moyenne de 5.000 sardines. C'est à peu près la production normale à Saint-Guénolé, avec du poisson de 40 au kilo. Au prix de 400 francs les 100 kilogrammes, dernière concession des usiniers, le produit de la vente serait de 500 francs. Mais il faut déduire du produit de la vente la rémunération du capital engagé dans l'achat du bateau, les réparations, les assurances, les taxes d'armement et autres, le prix de la rogue, de la farine d'arachide ou des tourteaux, de l'essence, des filets. Il reste - ce sont des chiffres absolument exacts - 20 francs par homme et cela pendant quatre mois - c'est à peu près le temps normal de la saison de pêche. Cela représente 2.000 francs pour la saison sardinière.
Pendant les autres mois, le marin peut pêcher d'autres poissons, mais c'est l'époque de la morte-saison, pendant laquelle il ne peut sortir à cause des tempêtes - et vous savez quels ravages elles font sur non côtes de Bretagne. Avec ce salaire de 20 francs, c'est la gêne, la misère, pour le pêcheur et sa famille."

Pour l'éviter, les pêcheurs de toute la côte vont se solidariser avec ceux de Saint-Guénolé.

E. ALLOT. (A suivre.)

(1) Cette délégation, qui comprenait trois marins de Saint-Guénolé, un de Kérity, un de Guilvinec et un de Lesconil, décide de s'adjoindre Tillon. A noter qu'il s'agit maintenant non seulement du Comptoir d'achat dont on parla peu d'ailleurs, mais aussi et surtout du prix que les usiniers veulent mettre dans les cent kilogrammes de sardine.
(2 ) La rogue qui sert d'appât est composée surtout d'oeufs de morue.