LA FAMILLE DU CHATELLIER :
COLLECTIONNEURS-ARCHEOLOGUES

Paul du Chatellier fouille la Bretagne

par Stéphane Guihéneuf. © Bretagne.com

Vous pouvez retrouver ici le texte dans son contexte original (hors illustrations).

Dans la seconde moitié du XIX e siècle, Paul du Chatellier (1833-1911) va donner une impulsion à l'archéologie bretonne. Fouilleur insatiable, collectionneur, il va faire du manoir de Kernuz en Pont-l'Abbé, le premier musée préhistorique de Bretagne.

Début juillet 1884, sous la conduite de Gabriel de Mortillet, président de la société d'anthropologie de Paris, 17 membres de cette société savante visitent le musée de Kernuz. " Le Cluny de la Bretagne préhistorique ", selon Auguste Millon. Située à Pont-l'Abbé, cette ancienne demeure seigneuriale, propriété familiale depuis 1842, a été transformée dans son aile gauche en musée. Où vases, outils, bijoux et objets de la préhistoire ont été rassemblés par Paul du Chatellier. " Une grande figure d'antiquaire du XIX e siècle ", écrit Yves Coativy.
Figure dont l'histoire débute par celle de son père, Armand Maufras du Chatellier. " Publiciste et homme d'initiative politique et sociale ", par son érudition et sa passion pour l'archéologie, il va ouvrir une voie dans laquelle son fils s'engouffrera tout naturellement.
Mais aux traces des civilisations passées, Paul du Chatellier va d'abord préférer la peinture.

Après des études à Versailles, où Armand du Chatellier est installé avec les siens depuis 1848 " pour mieux assurer l'éducation de ses enfants ", Paul du Chatellier entre à l'école nationale des beaux-arts. Élève successivement de François-Edouard Picot, peintre d'Histoire et membre de l'Institut, puis de Théodore Gudin, premier peintre officiel de la marine (1830), Paul du Chatellier expose pendant plusieurs années aux Salons. Attiré par les marines, il séjourne à l'Ile de Groix ou à la Pointe du Raz.
À Saint-Guénolé-Penmarc'h, il se fait même construire, directement sur les rochers, un atelier de peinture.

Manoir de Kernuz

L'atelier fut plus tard cédé au peintre Lemordant

Cours de dessin

Artiste talentueux, il s'inscrit " dans la lignée des Perrin, Lalaisse et Ozanne ". Des oeuvres dans lesquelles Paul du Chatellier a su transmettre " l'essence même des paysages de la Bretagne du XIX e siècle et la vie profonde de ses habitants ". Une connaissance de la peinture qu'il met à profit, quelques années plus tard, lors de ses acquisitions. Ainsi, dans un inventaire dressé en février 1876, figurent des tableaux de Vélazquez, Ozanne, David d'Angers ou Rubens. Un goût pour la peinture auquel son père n'est pas étranger. Nommé aide-vérificateur des douanes à Douarnenez en 1820, ce dernier s'y exerce auprès de Fidèle Halna du Frétay. Quatre ans plus tard, nommé receveur des douanes à Pont-l'Abbé, Armand du Chatellier ouvre un cours de dessin gratuit. Au début des années 1840, dans son château de Pont l'Abbé, il s'adonne aux portraits en prenant pour sujets les membres de sa famille.

Historien militant

Historien dans l'âme, remarqué pour un mémoire " Du commerce et de l'administration " (1826), Armand du Chatellier est surtout l'auteur d'une " Histoire de la révolution dans les départements de l'ancienne Bretagne " en six volumes (1836).

Membre de sociétés savantes, il est l'un des fondateurs de la Société archéologique du Finistère (1845) et de l'Association bretonne au sein de laquelle il milite pour la création d'une section d'Archéologie (effective en 1843). 

Car, comme l'écrit le chanoine Abgrall, " tout en recueillant des documents pour l'histoire du pays ", il " ne fut pas inattentif à ses monuments mégalithiques, jusque-là négligés ". 

Nécropole de Lesconil, tumulus de Porz-Carn, Armand du Chatellier effectue quelques fouilles. 

Il entreprend d'exposer dans son manoir de Kernuz une collection que son fils n'aura de cesse d'enrichir.

Découvertes fortuites

Car, à la peinture, Paul du Chatellier va préférer l'archéologie. De retour en Bretagne, il décide de s'y consacrer totalement au début des années 1870. Notamment après avoir fortuitement découvert à Saint-Jean-Trolimon, les sites de Kerviltré (cimetière gaulois) et de Tronoën (temple gallo-romain). Un site qu'il fouille régulièrement pendant une trentaine d'années. Il y trouve de nombreux objets : statuettes, monnaies et autres poteries pour lesquelles Alexandre Bertrand, professeur d'archéologie nationale à l'école du Louvre lui apporte une aide précieuse.
Mais le site de Tronoën va aussi être la cause d'un différend avec la Société archéologique du Finistère. En septembre 1876, Paul du Chatellier signale à La Villemarqué, président de cette société, que " des objets sont pris illégalement sur le site (...) puis vendus à la société ". Le mois suivant, il dépose plainte pour " détournement d'objets d'antiquités indûment recueillis (...) sur les terres de Tronoan en Saint-Jean-Trolimon ". Plainte dont la conséquence immédiate sera la radiation de son père, Armand du Chatellier, de la société Finistérienne.

900 haches

De la région de Pont-l'Abbé, vaste champ d'exploration avec sa nécropole de Lesconil, ses kjoekkenmoëdding de La Torche, Paul du Chatellier rayonne sur tout le département : Audierne et ses environs, Goulien, Porspoder, Moëlan-sur-Mer avec ses allées couvertes, Crozon, Poullan-sur-Mer, Carhaix, les monts d'Arrée, Molène..." Il n'est pas un coin du Finistère qu'il n'ait exploré, pas une région qu'il n'ait étudiée. " Ses découvertes nombreuses viennent enrichir le musée qu'il s'est patiemment construit. Et ou figurent aussi des pièces achetées à grand nombre de correspondants. Léon Morel lui fait découvrir la nécropole gauloise d'Etréchy (51), lui vend une trentaine de vases funéraires. Louis Le Pontois lui fait don de sa collection, forte notamment de plus de 900 haches. C'est en compagnie de ce dernier que Paul du Chatellier va découvrir une sépulture scandinave sur l'île de Groix. Une découverte qui le fera chevalier de l'ordre de Saint-Olav (1908).

Vendu à l'État

Auteur de nombreuses publications dont " Ces époques préhistoriques et gauloises dans le Finistère " (1889), correspondant du ministère de l'Instruction publique pour les travaux historiques, président de la Société archéologique du Finistère (1897), Paul du Chatellier était le " conservateur d'un précieux musée d'Archéologie et d'art ". Musée qui, au lendemain de la Première Guerre mondiale, fut vendu à l'État " à la grande surprise du gotha culturel finistérien ". Une collection répartie ensuite entre le musée de Saint-Germain-en-Laye et les différents musées bretons.