Charles Émile Souvestre

Charles Émile Souvestre (°1806 à Morlaix, +1854 à Montmorency). C'est un avocat, enseignant, journaliste et écrivain prolifique (romancier, dramaturge, moraliste et poète) qui écrit nombre d'ouvrages sur la Bretagne et la Chouannerie. 

Il re-édite Le voyage dans le finistère de Cambry, revu, corrigé et augmenté (1835).
Il y ajoute une seconde partie, Le Finistère en 1836 (1838).
Émile Souvestre 
par J-H Belloc (1838)


Le Finistère en 1836

Le Finistère en 1836. Extrait, pages 77 et 78.


Penmarc'h, aujourd'hui désert et désolé, fut autrefois une ville opulente (1). Le grand nombre de monumens druidiques dispersés aux environs prouve même que, du temps des celtes, ce point était un centre d'habitation important. On voyait encore en 1819, au milieu des maisons même de Kerity, un dolmen qui a été détruit depuis. Près de la chapelle de Notre-Dame de la Joie se trouve un men-hir, et au milieu de la plaine, entre la chapelle de Traon-Houarn et de Notre-Dame du Buec, on en aperçoit un autre qui a quinze pieds d'élévation. Enfin, auprès du bourg actuel de Penmarc'h , dans un champ qui borde la route de Pont-l'Abbé, sont deux men-hirs de vingt pieds de haut. Il est probable que dès la plus haute antiquité la ville de Penmarc'h, vu sa situation, fut très commerçante. Dans le treizième siècle, elle faisait d'immenses salaisons qu'elle expédiait au loin. La pêche de la morue, ou plutôt du merlus, dont il existait un banc à quarante lieues dans l'ouest, avait enrichi les armateurs de Penmarc'h ; mais la découverte de Terre-Neuve, en 1500, porta un coup terrible à la prospérité de ce commerce, qui fut presqu'entièrement ruiné par une tempête horrible, dont la tradition a gardé le souvenir, et dans laquelle tous les navires pêcheurs de Penmarc'h périrent. Cependant, en 1556, cette ville comptait encore près de trois mille arquebusiers prenant part à l'exercice du papegaud. Mais les déprédations des pirates qui infestaient nos côtes continuèrent à ruiner peu à peu Kerity-Penmarc'h, que Fontenelle acheva de ravager. Actuellement il ne reste plus que deux misérables hameaux, appelés l'un Penmarc'h, l'autre Kerity ; ce sont comme les deux extrémités de la grande ville d'autrefois, et d'immenses amas de décombres entassés dans l'intervalle qui les sépare indiquent les quartiers qui ont disparu. Certains sentiers tracés au milieu de ces ruines ont encore conservé les noms des rues qu'ils ont remplacé ; on les appelle la grande rue, la rue des argentiers, la rue des marchands, etc. Du reste, chaque jour on enlève les débris du vieux Penmarc'h pour les faire servir à de nouvelles constructions ; de sorte que dans quelques années il n'en restera plus nulle trace.

La preuve la plus frappante de l'importance qu'avait autrefois la ville bâtie sur cette pointe, est dans le grand nombre des églises que l'on voit encore presque intactes au milieu des décombres.

Elles sont au nombre de six.

D'abord l'église de Penmarc'h, qui est la plus grande : elle est dédiée à Sainte-Nonna, un de ces saints inconnus dont la Bretagne abonde, et auxquels la voix du peuple ouvrit le paradis et le calendrier sans l'autorisation du pape. Cet édifice gothique, un peu lourd, mais construit avec beaucoup de soin, porte sculptés sur sa façade, plusieurs navires des quinzième et seizième siècles, qui attestent que son édification est due en partie à la munificence des négocians et des marins de Penmarc'h. Ces sculptures sont fort curieuses en ce qu'elles nous donnent les différentes formes des navires de cette époque.

La maîtresse vitre derrière le chœur, et en général toutes les fenêtres, méritent d'être remarquées. La grande statue d'albâtre (Saint-Jean) dont parle Cambry, et qui se trouvait à Kerity, a été transportée à Penmarc'h. On voit aussi au presbytère quatre petits bas-reliefs d'albâtre du quatorzième siècle, représentant la passion.

L'église de Kerity, presque complètement ruinée, date du treizième siècle, et fut élevée par les templiers ; on reconnaît le caractère guerrier de ses fondateurs à la forme de la tour, moitié clocher, moitié forteresse. Après la destruction de l'ordre du Temple, l'église de Kerity fut abandonnée à la paroisse sous l'invocation de Saint-Thumète, autre saint breton aussi inconnu que Sainte-Nonna.

En se dirigeant vers le phare de Penmarc'h, on rencontre l'église Saint-Pierre, dont la tour avait été construite pour servir de lieu de refuge et de défense, ainsi que le prouvent ses meurtrières. Parmi les caryatides qui sont placées aux angles de cette tour, on remarque une statue dans une pose et dans une action que nous ne pouvons nous permettre de décrire.

Un peu plus loin au nord se trouve la chapelle de Notre-Dame de la Joie , puis l'église de Saint-Guénolé , dont les magnifiques ruines, couvertes de délicates moulures , de clochetons et de sculptures gothiques , attestent l'ancienne splendeur ; enfin la petite chapelle de Saint- Fiacre , bâtie presque en face.

Quant à la vue de mer que présente la Torche de Penmarc'h , on en a tant de fois parlé que nous n'essaierons pas de la décrire. Tout ce que nous pouvons dire, c'est qu'une journée passée sur cette pointe vous jette dans une tristesse et une sorte de stupeur dont vous êtes quelquefois plusieurs jours à vous remettre. La pointe de Penmarc'h est le lieu le plus désolé, le plus sauvage , le plus navrant que nous ayons jamais visité. Flots, écueils, ruines, votre œil n'aperçoit rien autre chose !

La Torche est un récif séparé de la terre par un espace appelé le saut du Moine. On raconte qu'un moine, ayant voulu franchir cet intervalle, tomba dans l'abîme et y périt. La mer se précipite avec fureur dans ce gouffre, et ébranle le promontoire.

A une demi-lieue à l'est de l'anse de la Torche on trouve la chapelle de Traon-Houarn, bel édifice gothique, voûté en pierres, avec des nervures, des culs-de-lampe et des pendentifs. Tout auprès existe un calvaire dont le soubassement est couvert de bas-reliefs rongés par les lichens et la mousse. A peu de distance se voient les ruines pittoresques d'une chapelle dédiée à Notre-Dame de Buec ; nous y avons surtout remarqué une croix fort habilement travaillée et un men-hir renversé.

Le chemin de Penmarc'h à Pont-l'Abbé vous conduit devant le vieux manoir de Gouénac'h, derrière lequel se trouve un dolmen précédé d'une avenue druidique. Quatre trous creusés sur la plate-forme de ce dolmen semblent avoir été destinés à recevoir le sang des victimes. Sur le bord même du chemin on aperçoit un second dolmen, dont la table a 7 pieds et demi de longueur et neuf de largeur. La hauteur de ce dolmen est d'un côté de 9 pieds , et de l'autre de cinq seulement. Dans le pays on l'appelle Ti c'horriquet ( la maison des c'horrics ou nains ).

(1) Cambry, pages 158, 159.